La Psychiatrie : entre préjugés et réalités
La psychiatrie ne s’occupe pas que des fous. On la mésestime ou la dévalorise. Mais au fond, qu’est-elle en réalité ? Pour la comprendre, j’ai interviewé une spécialiste, DR Nathalie MBENDA KANGAMI.
Bonjour Docteur, voulez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Nathalie MBENDA KANGAMI. Je suis médecin, actuellement en spécialisation en Psychiatrie, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Je suis aussi blogueuse à Mondoblog de RFI. Mon blog est intitulé Unité dans la Diversité.
Pourquoi le choix de ce domaine d’étude ?
S’il fallait revenir en long et en large sur mon choix de spécialité, je conseillerai à tout lecteur de se rendre à la rubrique de mon blog qui y est consacré.
Si je choisis quelques éléments adjuvants de réponse, je dirais que c’est une spécialité médicale comme toutes les autres. Mais sa particularité réside dans le fait qu’elle prend en considération une autre dimension de l’homme : son mental, sa psyché, ses pensées, ses émotions, son comportement, ses relations avec son milieu extérieur, sa fonctionnalité en tant qu’individu…
C’est cette vision inclusive de l’être humain qui m’a attiré. J’ai toujours aimé tout ce qui touche au domaine de la pensée et très tôt, j’ai reconnu que c’était difficile d’aider efficacement un malade si on occulte la dimension psychologique.
Je veux dire que, c’est bien de prescrire une chimiothérapie à un malade atteint de cancer, ou de procéder à une amputation de membre inférieur chez un diabétique atteint de complications mais ça ne s’arrête pas là. Il faudrait savoir comment annoncer à ce patient lambda sa maladie, son pronostic et il faudrait surtout l’aider à accepter sa maladie, son traitement et l’accompagner, lui et sa famille, durant la maladie.
Or dans la médecine somatique, j’ai trouvé que cette dimension était trop souvent négligée par nos praticiens. J’ai voulu me consacrer à apaiser l’angoisse et la souffrance du patient.
Un autre point important est le fait que les maladies mentales per se sont très fréquentes, dans tous les continents. Elles ont d’ailleurs une grande part d’hérédité comme facteur de risque, ce qui accroit encore leur fréquence. Les facteurs sociaux et environnementaux ne sont pas en reste. Beaucoup d’affections organiques ont aussi des complications mentales et vice-versa.
La demande est donc très forte partout mais paradoxalement il y a encore très peu de psychiatres, de psychologues et de psychomotriciens dans le monde, surtout en Afrique. Il fallait donc renforcer ce corps.
Est-ce un domaine empruntable pour un Africain ?
Quel domaine n’est pas empruntable pour un Africain en ce 21è siècle ? Il s’agit de la science, rien d’autre que de la science. C’est de la médecine et comme je l’ai mentionné précédemment, les maladies mentales sont fréquentes dans tout le globe.
En Afrique particulièrement, elles sont méprises pour des maladies mystiques ou autres malédictions, elles sont stigmatisées et rejetées par la société. Des malades souffrent, des familles souffrent le temps d’une vie sans jamais savoir de quoi il est question exactement.
La plupart perdent des millions, à consulter des charlatans ou des exorcistes, pour des maladies contrôlables avec quelques gouttes d’Halopéridol à moindre coût.
Alors je vous pose les questions : en Afrique, est-il préférable de voir un « fou » manger dans les poubelles ou de savoir qu’il reçoit un traitement adéquat par des spécialistes ? Ne serait-on pas content de voir ce même « fou » redevenir propre et s’engager dans une vie sociale acceptable ? Les patients souffrant de dépression majeure devraient-elles être contraintes d’aller jusqu’en Occident pour se soigner ?
A vous donc, de me dire si c’est un domaine empruntable pour les Africains !
Quels intérêts pour une femme africaine ?
Plusieurs, comme énoncés plus haut : il y a la fréquence des maladies mentales, la rareté des praticiens, la méconnaissance du domaine, le handicap fonctionnel du patient, la souffrance de la famille…. C’est une branche en plein développement et qui a beaucoup d’avenir.
Les dossiers qui me tiennent particulièrement à cœur sont : la toxicomanie (abus, dépendance aux drogues), les psychotraumatismes (impact des conflits, de la violence, du viol…), la pédopsychiatrie c.à.d. chez les enfants (autisme, énurésie, etc.)
Maintenant, que je sois une femme ou pas, ça n’a pas d’importance. Ce qui compte c’est ma volonté et ma capacité d’aider.
Quels moyens disposez-vous dans ce métier ?
Nous utilisons les moyens chimiques c’est-à-dire les médicaments. Nous avons recours à la psychothérapie (la thérapie par la parole). Cela peut être une psychothérapie de soutien, que nous pouvons nous même dispenser au patient et à sa famille mais en cas de psychothérapie spécialisée, type psychothérapie cognitivo-comportementale ou psychanalyse, nous pouvons faire appel aux psychologues. Il y a aussi la sociothérapie, l’art-thérapie, l’ergothérapie qui aident à la réhabilitation et à la réinsertion du malade dans la société.
Nous utilisons dans des cas graves l’électroconvulsivothérapie. En effet, nous induisons une crise épileptique généralisée à un patient sous anesthésie générale, pour rétablir un certain équilibre dans le fonctionnement de ses neurones. C’est une méthode qui est rarement pratiquée en Afrique francophone à cause du plateau technique insuffisant mais qui donne de très bons résultats.
Nous utilisons rarement la contention physique, sauf quand le sujet est particulièrement dangereux et que la contention chimique, donnée en urgence, pour le sédater n’est pas encore efficace.
Nous ne pouvons ne pas citer les mesures holistiques (relaxation, naturopathie, etc.) qui sont adjuvants au traitement principal. Nous laissons aussi la liberté aux patients qui ont une croyance ancestrale d’avoir recours aux traitements traditionnels. Nous n’avons pas le droit de les déposséder de leur croyance. Nous nous assurons juste qu’ils suivent bien le notre.
En Afrique, l’avantage que nous avons c’est l’intégration naturelle du sujet dans une communauté qu’elle soit familiale ou religieuse. Le soutien omniprésent de la famille aide beaucoup au rétablissement.
À quels genres de personnes vous intéressez-vous ?
La psychiatrie vise tout être humain comme la médecine en général.
Vous avez parcouru plusieurs pays africains, à quoi est-ce lié ? Amour pour la Psychiatrie ?
Je n’ai été que dans quelques endroits. J’aime découvrir, m’ouvrir vers d’autres horizons. Je suis une amoureuse du monde et de sa diversité. Tous mes voyages jusqu’ici, ont toujours été plus par nécessité que par plaisir. Mais au rythme où le monde progresse, on voyage déjà virtuellement c’est-à-dire à travers les blogs, les multimédias, les webcams etc.
Par amour de la psychiatrie, j’ai accepté de venir au Sénégal et de sacrifier une part de ma vie personnelle mais c’est un sacrifice que tout médecin fait chaque jour pour le bénéfice du plus grand nombre.
Merci Docteur KANGAMI!
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