La Psychiatrie : entre préjugés et réalités

Article : La Psychiatrie : entre préjugés et réalités
Crédit:
25/04/2013

La Psychiatrie : entre préjugés et réalités

Dr Nathalie Mbenda Kangami - Psychiatrie, CHNU Fann ©Dr Kangami
Dr Nathalie Mbenda Kangami – Psychiatrie, CHNU Fann –  NathyK ©

La psychiatrie ne s’occupe pas que des fous. On la mésestime ou la dévalorise. Mais au fond, qu’est-elle en réalité ? Pour la comprendre, j’ai interviewé une spécialiste, DR Nathalie MBENDA KANGAMI.

Bonjour Docteur, voulez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je m’appelle Nathalie MBENDA KANGAMI. Je suis médecin, actuellement en spécialisation en Psychiatrie, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Je suis aussi blogueuse à Mondoblog de RFI. Mon blog est intitulé Unité dans la Diversité.

Pourquoi le choix de ce domaine d’étude ?

S’il fallait revenir en long et en large sur mon choix de spécialité, je conseillerai à tout lecteur de se rendre à la rubrique de mon blog qui y est consacré.

Si je choisis quelques éléments adjuvants de réponse, je dirais que c’est une spécialité médicale comme toutes les autres. Mais sa particularité réside dans le fait qu’elle prend en considération une autre dimension de l’homme : son mental, sa psyché, ses pensées, ses émotions, son comportement, ses relations avec son milieu extérieur, sa fonctionnalité en tant qu’individu…

C’est cette vision inclusive de l’être humain qui m’a attiré. J’ai toujours aimé tout ce qui touche au domaine de la pensée et très tôt, j’ai reconnu que c’était difficile d’aider efficacement un malade si on occulte la dimension psychologique.

Je veux dire que, c’est bien de prescrire une chimiothérapie à un malade atteint de cancer, ou de procéder à une amputation de membre inférieur chez un diabétique atteint de complications mais ça ne s’arrête pas là. Il faudrait savoir comment annoncer à ce patient lambda sa maladie, son pronostic et il faudrait surtout l’aider à accepter sa maladie, son traitement et l’accompagner, lui et sa famille, durant la maladie.

Or dans la médecine somatique, j’ai trouvé que cette dimension était trop souvent négligée par nos praticiens. J’ai voulu me consacrer à apaiser l’angoisse et la souffrance du patient.

Un autre point important est le fait que les maladies mentales per se sont très fréquentes, dans tous les continents. Elles ont d’ailleurs une grande part d’hérédité comme facteur de risque, ce qui accroit encore leur fréquence. Les facteurs sociaux et environnementaux ne sont pas en reste. Beaucoup d’affections organiques ont aussi des complications mentales et vice-versa.

La demande est donc très forte partout mais paradoxalement il y a encore très peu de psychiatres, de psychologues et de psychomotriciens dans le monde, surtout en Afrique. Il fallait donc renforcer ce corps.

Est-ce un domaine empruntable pour un Africain ?

Quel domaine n’est pas empruntable pour un Africain en ce 21è siècle ? Il s’agit de la science, rien d’autre que de la science. C’est de la médecine et comme je l’ai mentionné précédemment, les maladies mentales sont fréquentes dans tout le globe.

En Afrique particulièrement, elles sont méprises pour des maladies mystiques ou autres malédictions, elles sont stigmatisées et rejetées par la société. Des malades souffrent, des familles souffrent le temps d’une vie sans jamais savoir de quoi il est question exactement.

La plupart perdent des millions, à consulter des charlatans ou des exorcistes, pour des maladies contrôlables avec quelques gouttes d’Halopéridol à moindre coût.

Alors je vous pose les questions : en Afrique, est-il préférable de voir un « fou » manger dans les poubelles ou de savoir qu’il reçoit un traitement adéquat par des spécialistes ? Ne serait-on pas content de voir ce même « fou » redevenir propre et s’engager dans une vie sociale acceptable ? Les patients souffrant de dépression majeure devraient-elles être contraintes d’aller jusqu’en Occident pour se soigner ?

A vous donc, de me dire si c’est un domaine empruntable pour les Africains !

Quels intérêts pour une femme africaine ?

Plusieurs, comme énoncés plus haut : il y a la fréquence des maladies mentales, la rareté des praticiens, la méconnaissance du domaine, le handicap fonctionnel du patient, la souffrance de la famille…. C’est une branche en plein développement et qui a beaucoup d’avenir.

Les dossiers qui me tiennent particulièrement à cœur sont : la toxicomanie (abus, dépendance aux drogues), les psychotraumatismes (impact des conflits, de la violence, du viol…), la pédopsychiatrie c.à.d. chez les enfants (autisme, énurésie, etc.)

Maintenant, que je sois une femme ou pas, ça n’a pas d’importance. Ce qui compte c’est ma volonté et ma capacité d’aider.

Quels moyens disposez-vous dans ce métier ?

Rendez-vous avec un médecin psychiatre. © MAX PPP (Google)
Rendez-vous avec un médecin psychiatre. © MAX PPP (Google)

Nous utilisons les moyens chimiques c’est-à-dire les médicaments. Nous avons recours à la psychothérapie (la thérapie par la parole). Cela peut être une psychothérapie de soutien, que nous pouvons nous même dispenser au patient et à sa famille mais en cas de psychothérapie spécialisée, type psychothérapie cognitivo-comportementale ou psychanalyse, nous pouvons faire appel aux psychologues. Il y a aussi la sociothérapie, l’art-thérapie, l’ergothérapie qui aident à la réhabilitation et à la réinsertion du malade dans la société.

Nous utilisons dans des cas graves l’électroconvulsivothérapie. En effet, nous induisons une crise épileptique généralisée à un patient sous anesthésie générale, pour rétablir un certain équilibre dans le fonctionnement de ses neurones. C’est une méthode qui est rarement pratiquée en Afrique francophone à cause du plateau technique insuffisant mais qui donne de très bons résultats.

Nous utilisons rarement la contention physique, sauf quand le sujet est particulièrement dangereux et que la contention chimique, donnée en urgence, pour le sédater n’est pas encore efficace.

Nous ne pouvons ne pas citer les mesures holistiques (relaxation, naturopathie, etc.) qui sont adjuvants au traitement principal. Nous laissons aussi la liberté aux patients qui ont une croyance ancestrale d’avoir recours aux traitements traditionnels. Nous n’avons pas le droit de les déposséder de leur croyance. Nous nous assurons juste qu’ils suivent bien le notre.

En Afrique, l’avantage que nous avons c’est l’intégration naturelle du sujet dans une communauté qu’elle soit familiale ou religieuse. Le soutien omniprésent de la famille aide beaucoup au rétablissement.

À quels genres de personnes vous intéressez-vous ?

La psychiatrie vise tout être humain comme la médecine en général.

Vous avez parcouru plusieurs pays africains, à quoi est-ce lié ? Amour pour la Psychiatrie ?

Je n’ai été que dans quelques endroits. J’aime découvrir, m’ouvrir vers d’autres horizons. Je suis une amoureuse du monde et de sa diversité. Tous mes voyages jusqu’ici, ont toujours été plus par nécessité que par plaisir. Mais au rythme où le monde progresse, on voyage déjà virtuellement c’est-à-dire à travers les blogs, les multimédias, les webcams etc.

Par amour de la psychiatrie, j’ai accepté de venir au Sénégal et de sacrifier une part de ma vie personnelle mais c’est un sacrifice que tout médecin fait chaque jour pour le bénéfice du plus grand nombre.

Merci Docteur KANGAMI!

@+

Partagez

Commentaires

Aurore
Répondre

Pendant midi, entre deux fourchettes de riz, à la cantine de l'Université Cheick Anta Diop de Dakar, je garde un souvenir intéressé de Nathalie parlant de ses activités professionnelles en Afrique. Belle rencontre !

KABA Madigbè
Répondre

Je me rappelle bien de l'aurore que je voyais à chaque aurore de l'espace Thialy à Dakar. Oui Aurore (avecson sourire), j'espère que tu vas bien.

pascaline
Répondre

Super article bravo! Je suis tout à fait d'accord avec Nathalie sur la prise en compte de l'aspect psychologique de pathologies physiques. En France, les protocoles de soins négligent souvent complétement cela. Ce qui entraîne des difficultés énormes pour le patient et sa famille pour gérer la maladie et le traitement face à un vocabulaire médical incompréhensible et un système hospitalier totalement opaque.

Serge
Répondre

bon, puisqu'il faut passer sur le divan, j'avoue qu'en 2008 quand je suis arrivé au Brésil, j'ai eu droit à quelques séances avec un psy pour surmonter la déprime... ;)

pas mal heim...

KABA Madigbè
Répondre

Oui, ça fait du bien!

KABA Madigbè
Répondre

Slt Pascaline. T'es toujours au Sénégal, comme tu me l'avais dit? Bonne continuation de séjour, ma grande. Alors, il est important pour les autres médecins de prendre en compte, l'aspect psychologique. Merci Pascaline!

Serge
Répondre

super billet, très complet et instructif. il y a aussi une dimention du féminisme dans les propos de Nathalie.

nathyk
Répondre

Il n'y a pas de féminisme Serge, tu vois une femme forte qui se considère un être humain complet :p

Serge
Répondre

Tes propos ne le disent pas, mais cela sert aussi à la lutte féministe dans la mesure où on voit une femme africaine totalement émancipé tant professionnellement que dans la mentalité... je trouve ça bien

KABA Madigbè
Répondre

Dr Nathalie, Serge a finalement raison. Vous êtes une preuve vivante des capacités d'une femme africaine.

Thierno
Répondre

Je trouve cette très femme très courageuse, je lui dis bonne chance. Dans la vie, faut oser rêver. Merci à toi aussi kaba

KABA Madigbè
Répondre

Merci Thierno!

Hope
Répondre

Au Cameroun, très peu de familles savent c'est qu'un Psy et d'autres vous diront "se sont les choses des blancs". Mais lorsque nous faisons des tours dans des maisons, dans des centres hospitaliers c'est là que nous découvrons des cas qui auraient pu être traité par un Psy; mais manquant d'information et peut être pour faute de moyen elles ne peuvent pas en bénéficier. Nathalie j'ai de l'admiration pour ce choix de boulot et je souhaiterai que par des médias que tu puisses davantage expliquer au public sa nécessité.

KABA Madigbè
Répondre

Vos voeux sont entendus, espérons pour leur réalisation. Finalement, on a tous intérêt que les professionnels de ce domaine soient connus. Merci de votre passage.

Ameth DIA
Répondre

Bravo Kaba pour nous avoir fait un peu plus découvrir cette très belle profession. J'ai toujours eu beaucoup d'estime pour les médecins.

KABA Madigbè
Répondre

Je t'en prie Ameth. Oui, c'est une belle profession.

Kiko
Répondre

La entrevista me gustado, abordar el tema en un blog entrevistando a una psiquiatra me ha parecido muy bien, ya que es una especialidad médica que se piensa que va dirigida en esclusividad a las personas locas, las enfermas mentales, y lo cierto que hay otras más enfermedades que, aún requiriendo la necesitad de un psiquiatra, el enfermo puede estar tan cuerdo como el que más, para mi muy buena entrevista.

KABA Madigbè
Répondre

Gracias, senor Kiko. Estoy contento que la entrevista se ha parecido muy bien. Pero, como Dr Kangami le ha decido, la psiquiatria esta para todo el mundo. Todavia Gracias y espero conocerse muy bien.