Causeries du Ramadan (3e Partie) : le Sanankouya
Dans la vie des peuples de l’Afrique occidentale, notamment celle de l’ancien Manding, il existait une forme de coexistence entre les personnes, familles et contrées. Ainsi, en ces dix derniers jours du Ramadan (précisément 28e jour aujourd’hui) – période clef du mois – je consacre troisième partie de la série des causeries de ce mois au Sanankouya ou cousinage à plaisanterie. Cela se vit dans notre quotidien.
Le Sanankouya?
Le Sanankouya vient de la langue mandingue, signifiant cousinage à plaisanterie. Il se fait entre les personnes de différents noms de famille: Diabaté, Diallo, Touré, Kaba, Fofana, Soumah, Camara, Condé, Tolno, Keita… Chacun de ces noms de famille a été porté par un ancêtre, qui a dû porter son nom pour diverses raisons. Par exemple, l’ancêtre Diabaté a eu son nom pour avoir réalisé un exploit. On lui a dit ainsi: « I Dianbatè » (Personne ne peut te flatter à juste degré).
Chaque nom de famille a ainsi toute une histoire propre à elle. Chaque famille (large) avait une profession qui caractérisait son identité et sa destinée. C’est pour cette raison que les Kouyaté, ont été désignés les Diéli (griots), ou maîtres de la parole du Manding – gardiens de la mémoire du peuple.
Le Sanankouya comme « outil d’apaisement »
Le meilleur exemple à jamais obtenu dans l’histoire de l’Afrique post-indépendante est celui de l’immortel chantre africain et le grand griot guinéen, feu Sory Kandia Kouyaté. Ainsi, le journaliste guinéen Justin Morel Junior, sur demande du PDG de Syllart Productions d’établir une biographie de ce grand griot, rapportait des extraits de l’ouvrage « Cousinages à plaisanteries » de l’auteur Siriman Kouyaté :
«Sory Kandia Kouyaté sut en (id est cousinage à plaisanterie) faire bon usage en 1975, entre les présidents Sangoulé Lamizana de Haute Volta (actuel Burkina Faso) et Moussa Traoré du Mali dont les deux pays étaient en guerre. El Hadj Sory Kandia fut un des artisans, et pas des moindres, de la réconciliation. Grâce à sa voix et à sa connaissance de l’histoire africaine, il sut dans une version extraordinaire de la geste des braves « Djandjon » (1), inviter les deux chefs à dépasser les querelles intestines et à voir en grand l’avenir d’un continent uni et fort. Kandia n’hésita pas un seul instant, devant Sékou Touré et de nombreux invités, à exhorter les deux présidents à s’embrasser, après avoir narré avec une inoubliable éloquence, la force des liens historiques entre les deux hommes et les deux pays, en minimisant et en ironisant au passage, les contradictions et rivalités présentes ».
Le cousinage à plaisanterie est le moyen de pacifier par excellence les relations. Il a été institué ainsi comme une meilleure forme de coexistence entre les familles, tribus voire royaume dans la charte de Kouroukanfouka.
La charte de Kouroukanfouka
La charte de Kouroukanfouka est l’une des premières déclarations des droits de l’homme au monde. Elle a été admise lors d’une grande assemblée générale sous la direction de l’empereur de l’empire du Mali, Soundiata Keita (1236). Elle comprend quarante-quatre articles. Elle traite de l’organisation de la vie sociale, des biens, de la préservation de la nature et autres régissant le Manding. Parvenu par voie orale, elle a été transmise fidèlement de génération en génération par l’intermédiaire des Diéli (griots), depuis Balla Fassali Kouyaté (le chantre de Kouroukanfouka).
Les Sanankoun ou cousins à plaisanterie
Le plus souvent, je taquine mes confrères Diallo, Cissé, Fofana, Ba ou Sangaré par Sanankouya. Parfois, je l’utilise envers d’autres Mondoblogueurs pas forcément ouest-africains. Il en est de même entre mes voisins Keita, Traoré, Diaby et Soumah. Nous sommes dans un sens moins strict, des cousins à plaisanterie. Sinon, au sens plus strict, le Sanankouya se fait entre des groupes de noms de familles jusqu’à s’étendre toute la société. Certains sont Sanankoun avec certains mais pas avec d’autres. J’ai privilégié ici le sens large.
Ce que n’est pas le Sanankouya
Le Sanankouya n’encourage pas l’inimitié ou l’aversion envers les autres. Il n’encourage pas non plus à un enfermement communautaire. Il n’incite pas à une supériorité d’une communauté sur une autre. Elle n’exclut pas mais au contraire inclut. C’est peut-être sa mauvaise compréhension ou la volonté délibérée de certaines personnes, d’afficher leur haine envers d’autres, en lieu et place du Sanankouya. Même quand on utilise le terme « esclave », ce n’est pas au sens littéral mais au sens de plaisanterie.
Enfin, Peuples du monde, privilégiez le Sanankouya, vous vivrez mieux.
(1) Djandjon, type de musique mandingue chanté pour les braves personnes.
Dédicace à Nora, Dr Kangami, Ameth, Baldé, Gueye, Diané, Mondoblog et à ma famille.
Salam Aleikoum (Paix soit avec vous)
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